Préserver ce qui fait la richesse de notre monde est une évidence. Et peut-être encore plus depuis le début du XXIe siècle.

Mais certains n’ont pas attendu. En effet, depuis plusieurs décennies, «L’Arche du Spitzberg » rassemble les patrimoines génétiques des formes de vie de notre planète, «Les Volontaires des Îles de la Biodiversité » s’engagent à préserver les dernières terres sauvages. De son côté, « Le Champ Zoo-Ethnographique Virtuel » recompose une gigantesque simulation de notre planète dans laquelle vivent ou revivent des animaux aussi bien que des sociétés disparues… Des programmes hyper spécialisés, très sérieux, nécessaires et aux bénéfices incontestables. Mais qui doivent être mis, désormais, à la portée du grand public… sous forme de « Sanctuaires du Monde ». Selon leurs promoteurs, qui assurent ne pas vouloir entrer en concurrence avec les initiatives déjà existantes, ces endroits proposeront «une expérience intime et unique. Ils mettront en œuvre l’excellence humaine mise au service de la lutte pour la préservation des écosystèmes en perdition! ». Un pitch en trois lignes éclairé par de splendides simulations qui grâce à la réalité virtuelle en immersion, sont très abouties. Comme celle-ci où le visiteur se promène dans un Eden virtuel permettant le plein épanouissement à toutes sortes de formes de vie dans des environnements paradisiaques… Un engagement plus que séduisant! Mais, quand à grand renfort de plans de communication, de nouveaux acteurs annoncent vouloir prendre part à ce vaste chantier de préservation, et qui plus est, à l’aide de capitaux exclusivement privés, on ne peut que s’interroger sur la finalité de l’entreprise. Pourtant leurs arguments semblent porter leurs fruits, car, déjà, des projets très concrets, sont sur le point de sortir de terre, au cœur de nombreuses mégapoles de la planète.

Alors, un peu comme les zoos invitant les peuples occidentaux du XIXe siècle, à découvrir un exotisme inespéré, ces Sanctuaires promettent d’offrir aux terriens contemporains ou futurs, un échantillon précieux de ce que le monde était avant de tomber dans son actuelle décrépitude. Avec, par exemple, les baignades dans les eaux bleues des lagons aujourd’hui révolues, les banquises où l’on se mirait désormais en pleine fonte. Ou encore les forêts immenses dans lesquelles on s’égarait, maintenant rasées. Baptisés Unisphères (pour univers et sphère), ces petits bouts de paradis retrouvés et ultra modernes rassembleront, en effet, des écosystèmes reconstitués. Rayé de la surface de la terre, chacun sera choisi en fonction de son caractère exceptionnel :un lagon des Seychelles, une forêt primordiale de Bornéo, une savane Dogon, un glacier et son alpage, des palétuviers de Floride, une banquise, un haut plateau himalayen… Leur équipement s’appuiera sur les dernières technologies ou innovations. Ainsi, leurs parois seront réalisées en verre photo-actif qui réunit la photo-électrosynthèse, la photo-absorbtion de polluants, et la catalyse de nutriments à partir d’éléments chimiques présents dans les écosystèmes… Néanmoins, ces «Sanctuaires du Monde » ne seront pas uniquement dédiés à la faune et la flore. Question de financement! En effet, la seule volonté de sauvegarder ce patrimoine écologique, même au nom de la culpabilité, ne suffirait pas pour récolter les fonds nécessaires. Ainsi ces « zoos du dernier espoir » proposeront à leurs visiteurs, accueillis comme des hôtes particuliers, d’apporter leur contribution et de jouir des lieux d’une autre manière en résidant dans une hôtellerie de luxe tout droit sortie d’un artisanat d’art exceptionnel et pourtant en péril. En effet, issu de multiples savoirs faire culturels, cet artisanat, véritable bien immatériel de l’humanité, ne peut survivre que si l’écosystème est sauvegardé, du fait des matériaux naturels utilisés par les artisans. Il devient donc urgent de le sauvegarder au même titre que la biodiversité.

Qu’il s’agisse de marqueterie du bois, d’os, du travail du cuir, du fer ou de la pierre, de tissage de draperies délicates, de vannerie, de joaillerie, d’orfèvrerie, d’ébénisterie ou de menuiserie… ces établissements permettront aux artisans d’art du monde entier de produire des objets tous plus précieux les uns que les autres, tout en offrant à leur client, l’occasion rare de côtoyer des pièces uniques et de vivre des instants exceptionnellement luxueux… pourvu que leur bourse le leur permette ! Telle est la promesse du premier «Sanctuaire du Monde » qui vient d’ouvrir ses portes à Dubaï. De son côté, Képhas Quasghett, directeur du Sanctuaire de Paris, actuellement au stade des finitions, parle de « luxe réinventé ».«Notre établissement apporte exactement au luxe, la même contribution visionnaire que des complexes comme les Thermes de Monaco ou le Normandie, à Deauville, lors de leur ouverture au XXe siècle », explique-t-il. Toujours en fonction et très selects, ces derniers ont été rénovés, pourtant s’empresse-t-il d’ajouter:«Ces endroits restent désuets en terme de conception et leurs capacités écologiques n’atteindront jamais la qualité et le rendement en équivalent carbone des Sanctuaires du Monde ». À la fois lieux d’anticipation, promettant la prévention de toutes formes d’extinction proches ou futures, et véritables arches de Noé, sources de nouveaux débouchés écologique, économique, touristique ou de création, ces «Sanctuaires du Monde » développent un modèle attrayant. Et pourtant leurs détracteurs, des associations familiales aux syndicats, ne manquent pas. Tout d’abord, ces réfractaires – autoproclamés – doutent des intentions altruistes des promoteurs des sanctuaires rebaptisés pour l’occasion AristoLand, et s’inquiètent des sources de financement. Ensuite, ils s’opposent farouchement au concept même de ces futurs «Zoos low cost » où le grand public n’aura accès qu’à une mince portion de ces univers tandis que les plus nantis baigneront dans un luxe trop insolent, le tout sous couvert de la protection de la biodiversité.

Mais déjà la mode est lancée… et le marché pourrait bien encore une fois imposer sa loi.

 

© Olivier Parent – Article publé dans la revue INfluencia

 


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6 juil. 2015