“Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…” celui dans lequel seuls les déplacements virtuels et les actes électroniques de chaque personne étaient enregistrés, captés, analysés, grâce, entre autres, à ces petit bouts de programmes appelés cookies. Alors qu’aujourd’hui, la perte de l’anonymat s’est étendue jusqu’aux espaces publics, surtout à l’abord des lieux de vente.

Généralisation de l’implantation des puces RFID humaines, ces puces d’identifications par ondes radio, ces mêmes petits circuits imprimés qui ont remplacé les codes barres sur nos produits de consommation courante (encore un dispositif que les moins de vingt ans…) et qui participent à rendre la maison intelligente…

Intelligences artificielles (plus ou moins autonomes) arrivées à maturité et pour lesquelles chaque humain est une sources de données, d’autant que ces IA sont dotées de sens bien plus fins que n’importe lesquels accessibles à un corps biologique…

Aveu d’impuissance de la CEIL, version européenne de la Commission nationale informatique et liberté, l’antique Cnil française, instance sensée protéger les libertés individuelles dans le monde numérique, institution dépecée de tous ses moyens de contrôle et de coercition au cours des dernières décennies…

Échec du déploiement des Pema (Private electronic mail address), ces adresses électroniques adossées au numéro de sécurité sociale (ce dernier étant lui-même devenu un “alias” de l’identité génétique de chaque citoyen) et censées être garanties par l’Etat. Sur ces adresses devaient s’appliquer les lois relatives à la protection de la vie privée (absence qui n’a aucunement entravé le déploiement du vote électronique qui, pourtant, devait s’appuyer sur cette identité numérique infalsifiable. Chercher l’erreur)…

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, il n’y a plus d’anonymat dans les espaces publics et marchands. D’ailleurs, ce terme, marchand, est-il toujours d’actualité ?
Dans les années 40, le rachat de Dubaï par Walt Disney avait celé le mariage entre l’acte marchand et le divertissement. Cette transaction marquait surtout la prise de pouvoir définitive des corporations sur les états. Ceux qui ne se souviennent plus que la Disney Tower s’est un jour appelée Burj Dubaï avant de prendre le nom de Burj Khalifa, ces changements d’appellation survenant au gré des déconvenues financières du petit Etat aux 1000 centres commerciaux, ne font que confirmer qu’il n’y a plus de différence entre les loisirs (qu’il soit physique ou culturel) et le plaisir de faire du shopping. De son côté, la Chine nous a apporté la démesure avec des centres commerciaux de plus de 1000 mètres de haut, véritables villes verticales dans lesquelles sont à disposition toutes les infrastructures qui permettent au plus grand nombre de profiter des joies de la consommation, là où chacun selon ses goûts peut trouver la forme de consommation qui lui sied. Chacun peut, seul ou en famille, pratiquer les activités qu’il souhaite. Là où, sous l’apparence de la diversité et du choix, chacun est surtout incité à consommer de manière ordonnée… d’un point de vue marchand !

De telles (dé)mesures peuvent déranger. Certains consommateurs reviennent vers les commerces de proximité des centre-villes traditionnels, que l’on parle de villes où de villages. Cependant, les municipalités ont depuis longtemps laissé partir leurs rues marchandes aux mains de régies professionnelles. Après les posters appliqués sur les vitrines, la supercherie des robots anthropomorphes simulant une vie de quartier pour pallier à l’absence de clients humains n’a pas bien tenu longtemps. Aujourd’hui, le client est de retour dans les centre-villes car derrière les devantures des boutiques soi-disant à taille humaine, boulangerie, boucherie, librairie, pâtisserie, traiteur, habillement, chausseur, opticien… se cache une organisation issue des plus grands centres commerciaux. Cette gestion raisonnée des petits commerces est d’ailleurs héritée de l’expérience des parcs de loisirs à thème. Et la boucle est bouclée… La mise en œuvre de cette organisation hors des parcs, peu avant les années 20, étaient elle-même une réaction face à la désaffection des grands centres commerciaux avant que la fusion avec les loisirs ne soit définitivement entérinée. Il n’y a donc plus de petits commerces, il n’y a qu’une gestion à grande échelle de lieux de vente de taille réduite. Et, là, les dispositifs de suivi des comportements du client sont les mêmes que dans les grands espaces commerciaux.

En définitive, la question qui se présente au consommateur de ce milieu de siècle est aussi vieille que l’informatique déployée au service du grand public. C’est celle de la protection de la vie privée. Dès le début des années 2000, certains s’inquiétaient de la dissolution de la notion de vie privée dans le grand bain du tout numérique. D’autres s’interrogeaient sur la pertinence d’un tel débat dans la mesure où, disaient-ils, « je n’ai rien à cacher, je ne fais rien de malhonnête ». Le deal couramment admis, à cette époque, était que l’utilisateur d’un service gratuit acceptait de savoir ses données et comportements numériques scannés par l’entreprise propriétaire du dit service. Libre à cette dernière d’exploiter cette information sous garantie (virtuelle) d’anonymat.

Cette époque était celle de l’émergence de ces nouveaux modes de consommation. C’était aussi celle de l’Internet gratuit. Désormais tout se marchande, que l’on soit dans la vie réelle virtuelle. Alors, plus que jamais, la question de la protection de la vie privée se pose. Mais les états ont abdiqués face aux corporations. Les citoyens-consommateurs sauront-ils faire valoir leurs droits ?

11 avr. 2016