ROBOT AND FRANK ou « Pour un humain, une IA peut-elle être une rencontre ? » | Ce que la SF nous dit sur demain
Deux ou trois choses que « ROBOT AND FRANK », le film de Jack Shreier, nous dit sur demain… 

« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !

Avec

Réalisation : Jack Shreier
Scénario : Christopher D. Ford
Distribution : Frank Langella, James Marsden, Liv Tyler, Susan Sarandon, Rachael Ma
Durée : 89 minutes
Sortie : 2012


Tout au long de l’histoire de l’humanité, la fin de vie a interrogé les sociétés humaines aussi bien que les individus. Dans ce « temps de la vie », nos sociétés modernes sont renvoyées face à leur refus, à leur déni de la mort. Nos sociétés à venir n’échapperont pas à ces interrogations.

Le film de Jack Shreier, Robot and Frank propose une esquisse de réponse aux questions autour de la fin de vie, esquisse transposée dans un avenir proche.

Dans Robot and Frank, on ne s’arrêtera pas sur l’apparence du robot, joué par Rachael Ma. Bien que inspiré de Asimo, robot conçu par Sony et nommé en hommage à Isaac Asimov, le robot du film rempli son contrat d’objet nouveau, sans plus. Pas même dérangeant. Sans prouesses technologiques réalisées en images de synthèse… Juste un jeu d’acteur qui s’il évoque C3PO, de Star Wars, il pourrait tout aussi bien revendiquer une parentée avec le bûcheron en fer blanc du Magicien d’Oz, de Victor Fleming avec Judy Garland…

Ce qui rend ce film porteur d’un éventuel message en provenance de demain tient déjà dans l’absence de visage de la machine ainsi que l’absence de nom : tout au long du film, il restera « Robot », simple objet anthropomorphique. Cette tête sans visage pourrait être un casque à la Daft Punk, eux non plus, on ne connaît pas leur identité… C’est surtout l’humanité qui s’aperçoit dans le reflet, déformée par la visière inexpressive de la machine-objet.

L’existence même de cette machine interroge : cette société soutient et promeut l’usage de machines autonomes, dotées d’intelligence artificielle somme toute assez limitée – certaines, comme à la bibliothèque, ne sont que des cubes de métal auto-portés – mais elle continue à agir comme dans une société non-robotisée : Les voitures ne sont pas autonomes, les maisons ne présentent aucunes améliorations domotiques, la ville n’a rien de « smart »… Comme si la société dans laquelle se déroule le film avance dans son propre avenir sans en avoir de conscience.

Par contre, les membres de cette société, tout comme dans les nôtres, avancent à tombeau ouvert vers cet avenir. Ils ont très bien compris que ces machines, les robots aussi bien que l’ensemble des objets de la modernité et de la communication pouvaient devenir des extensions d’eux-mêmes ! Une bonne application des théories de Marshall McLuhan. Si le fils de Hank impose la machine pour ne plus avoir à venir aussi régulièrement voir son père et, de son côté, sa fille se donne une bonne conscience grâce à une pseudo réalité virtuelle mal « accouchée », par l’intermédiaire de visioconférences interrompues et de mauvaise qualité… Sa colère à l’encontre du robot est plutôt révélatrice du peu de présence qu’elle offre maladroitement à son père. Frères et sœurs, ils sont aussi bien l’un que l’autre aveugles de la (non) détresse de leur père et maladroitement convaincus d’une (non) solution technologique.

Et puis, il y a Frank. Frank, c’est l’homme de l’histoire, peut-être est-il plus humain que ses propres enfants à cause ou grâce à une maladie opportune. Frank c’est chacun d’entre nous face à la modernité.

Il y a en effet dans l’humain une inertie qui le fait freiner face aux changements. On a beau être geek, promoteur de l’esprit d’innovation ou juste acteur de sa vie, on cherche tous une forme de stabilité dans notre quotidien. Ca rassure. Ca rassure encore plus dans une société dont les codes sont perpétuellement rebattus, comme les cartes d’un jeu. Plus
histoire « s’accélère » plus on cherche un point fixe sur lequel s’ancrer pour ne pas être emporté par le vertige.

Frank à un téléphone portable. Mais Frank est accro à sa propre culture. Il est même un sujet d’étonnement quasi ethnologique pour celui qui va devenir son souffre-douleur ! Et, il y a la maladie neuro-dégénérative de Frank, à moins que ses symptômes ne lui offre une liberté que ses contemporains ne semblent plus capables de s’autoriser.

Frank et sa famille sont une métaphore de notre société, entre peurs et précipitation, entre amnésiques volontaires, chacun pour ses propres raisons, et observateurs attendris et attentifs, comme l’ex-épouse de Frank, jouée par Susan Saradon.

Dans cet assemblage cahotant apparaît l’élément perturbateur. L’élément qui, et le risque est réel, malgré qu’il ait beau rappeler à la personne dont il a la charge qu’il n’est qu’une machine, celui-ci, Frank, le considère néanmoins comme une personne. L’anthropocentrisme est un trait commun à l’humanité moderne. De son côté, la fille de Frank qui voyait dans la machine une incarnation du mal et celle de la perte de l’autonomie de l’humanité fini par la remettre à sa place et l’utilise comme l’objet que le robot est. Il n’y a pas de valeur moral dans un objet. S’il y a un sens à chercher autour de l’objet c’est auprès de l’intention du geste humain qu’il faut enquêter. Le fils de Frank, lui, retrouvera son cambrioleur de père, pour une dernière pirouette, dans une dernière tentative de complicité, une dernière fois avant que la maladie ne lui prenne définitivement son père… Quoi que…

Au final, malgré elle, la machine aura permis une dernière fois à Frank d’être lui-même, jusqu’à ce que la réalité ne le rattrape, dans l’appartement de son ex-femme, quand il se voit sans déformation, en photo, auprès de celle dont il ne se souvient plus. En l’absence du robot, quand il lui efface la mémoire, il ne voit plus son propre reflet déformé, son humanité, dans la visière du robot. Alors son humanité s’estompe… Pendant un temps, la déformation avait eu, pour Frank, des reflets de réalités, de jeunesse retrouvée, d’autonomie… Mais, désormais Frank s’approche d’un temps qui, jusqu’à preuve du contraire, fait encore partie de l’humanité : celui de la mort. A moins que les machines ne nous l’évite, un jour…

 


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6 oct. 2015